LE DJINN RADICAL ET LE MONDE EXTERIEUR

Par Tarek Heggy



Dans deux articles précédents, (« Politique et Religion : Carburants du Djinn Radical » et « Le Djinn Radical : Produit de l'Ignorance & de l'Incompétence »), nous avons examiné certains facteurs à l'intérieur de la société arabe et islamique qui ont mené à l'infiltration du radicalisme dans ces sociétés. Ceci n'exclut néanmoins pas une étude de l'interaction entre les sociétés en question et le reste de l'humanité, et l'effet de cette interaction sur la prolifération du « djinn » radical...

 

« Le Conflit des Civilisations » : Vrai ou Faux ?

La mentalité de la violence produite par des facteurs internes est une variable qui n'a émergé que les quatre dernières décennies. Son inclusion comme une constante dans le paradigme du « conflit des civilisations » est non seulement forcé, mais il appartient plus au royaume de la science fiction qu'à l'analyse politique. Le fameux livre de Samuel P. Huntington dont la théorie est proche de la mentalité de violence est un exemple précis. D'abord publié en 1992 en tant qu'article ayant pour titre « Clash of Civilizations ? » (Conflit des civilisations ?), il fut développé en un livre publié l'année suivante sous le même titre, mais sans le point d'interrogation. Le sens de cette omission est clair. Le livre fut un évènement publicitaire, sa vente fut un succès et il provoqua plus de controverse que tout autre livre cette année là, à l'exception des bestsellers fiction. Bien que je ne puisse pas passer contre l'auteur, ses motifs, ses buts et ses intentions un jugement aussi extensif que celui qui a été fait contre lui dans diverses parties du monde arabe, je dirai quand même que j'ai trouvé que le livre avait trois défauts majeurs :

Le premier est que l'auteur parle de l'Islam comme d'un monolithe, comme si le Wahhabisme était l'unique version de l'Islam. En fait, le Wahhabisme ne devint un courant principal de l'Islam qu'après l'alliance qui eut lieu entre Mohamed ibn Abdel Wahhab et Mohamed ibn Saoud à la seconde moitié du dix-huitième siècle. Avant cela, il y avait des idées qui ressemblaient à celles de l'interprétation wahhabite, mais elles étaient totalement marginales. Le courant principal de l'Islam était bien distinct de l'interprétation Wahhabite et sa culture. L'unique relation entre l'Empire Ottoman, qui représenta l'Islam politiquement en tant que force majeure pendant plusieurs siècles, et le Wahhabisme était une relation d'animosité extrême. J'aurais accepté la plupart de la proposition de Huntington concernant l'éventuel conflit entre l'occident et l'Islam s'il avait utilisé le terme « l'Islam wahhabite » au lieu de l'Islam. Je ne peux donc qu'en conclure que Huntington n'est pas versé dans l'histoire et les facteurs qui ont mené à l'essor de l'interprétation wahhabite de l'Islam.

Le second défaut du livre est que l'auteur n'a présenté aucune évidence pour soutenir sa théorie d'un conflit imminent entre l'occident et ce qu'il appelle les sociétés «confuciussiennes », ce qui rend sa théorie plus proche à la fiction, spécialement celles des œuvres de H.G. Wells, qu'à une analyse politique. Elle doit aussi à la théorie de Noam Chomsky également infondée, qui dit que les Etats-Unis ont besoin d'un ennemi pour survivre, et que ce rôle a été joué par le bloc de l'est de 1945 à 1990. Chomsky croit qu'après l'effondrement du communisme, l'Islam est maintenant le candidat principal pour ce rôle ! Mais s'il en est ainsi, comment peut-on donc expliquer le progrès énorme fait par les Etats-Unis entre 1500 et 1900, sans conflits extérieurs et sans ennemi évident durant cette période du développement et de l'achèvement du rêve américain ? Comment peut-on expliquer que malgré les efforts déployés par Winston Churchill de 1939 à 1941 pour convaincre les Etats-Unis de se joindre aux forces alliées de la guerre, ce ne fut qu'après l'attaque des Japonais à Pearl Harbour en 1941 que ses efforts réussirent ? Comment les Etats-Unis auraient-ils pu résister à l'occasion de profiter d'un ennemi déjà prêt si, selon Chomsky, ils en avaient besoin pour survivre ?

Le troisième défaut est que Huntington n'a pas consacré assez d'espace dans son livre au plus grand conflit de l'histoire de l'humanité, notamment la deuxième guerre mondiale, qui fut combattue par des forces appartenant à la même civilisation occidentale. C'était aussi un conflit dans le monde chrétien ; cependant personne ne cita jamais la religion comme étant un facteur de ce conflit énorme, qui était principalement un conflit entre le fascisme européen et démocraties européennes.

 

Pour réfuter l'allégation selon laquelle les groupes violents et les courants donnant le dos à la modernité et appelant au retour au moyen-âge seraient les vrais représentants de l'Islam, il suffit de voir comment les sociétés musulmanes principales fonctionnaient au commencement du vingtième siècle. Les pays tels que l'Egypte et la Grande Syrie (dont le Liban faisait partie en ce temps là) et la Turquie étaient des modèles de tolérance, leur population musulmane en majorité coexistant dans la paix avec les minorités d'autres croyances. Des cités cosmopolites renommées comme Alexandrie, Beyrouth et le Caire hébergeaient une grande variété de minorités. L'acceptation de l' « autre »  et de la modernité, ainsi que le désir ardent pour les grands chefs-d'œuvre de la créativité humaine caractérisaient toutes ces sociétés. Leurs intellectuels traduisaient Homer, les pièces de la Grèce ancienne, le meilleur de la littérature européenne moderne et les grands philosophes tels que Descartes, Jean Jacques Rousseau, Diderot, Locke, Hobbes, Kant, Hegel, Schopenhauer et Nietzsche. Bien qu'elles aient été en harmonie totale avec les conséquences scientifiques, philosophiques et artistiques de la Renaissance, ces sociétés gardaient leur identité nationale égyptienne, turque ou syrienne. C'était un temps où les musulmans ne voyaient aucune contradiction entre leurs croyances religieuses et les fruits matériels et culturels de la civilisation européenne.

En somme, lorsque les communautés musulmanes en Egypte, en Syrie, au Liban et en Turquie étaient sous un Islam non-Wahhabite, elles vivaient au rythme de l'époque et en harmonie avec de larges communautés chrétiennes et juives. Il était inconcevable que le Wahhabisme tolère le genre de sociétés cosmopolites et larges d'esprit qui avaient fleuri à Alexandrie, au Caire, à Istanbul, à Beyrouth, à Damas et à Alep au début du vingtième siècle. Bien au contraire, la version nadjdi de l'Islam exhorte ses partisans à demeurer dans une confrontation permanente avec les autres, avec l'époque et avec la modernité. Sous le Wahhabisme, le mot « jihad » est interprété comme une nécessité de porter une épée en tout temps, tandis que ce mot pour le courant principal de l'Islam a signifié pendant des siècles le recours à la force uniquement pour se défendre contre une agression extérieure. Même du point de vue sémantique, le mot « jihad » n'a aucune relation avec la notion de la violence armée ; il provient du mot « juhd » qui tient du verbe arabe « yajtahid », signifiant quelque chose entre « essayer fort » et « lutter ». Le courant principal de l'Islam acceptait aussi la possibilité que les musulmans fusionnent avec le reste de l'humanité (surtout avant que la culture tribale chauvine de Nadjd ne gagne du terrain), tandis que le Wahhabisme voit ceci comme impossible et inacceptable. En effet, ceci est perçu comme synonyme de servilité, un terme largement utilisé par ceux dont l'esprit est formé par le modèle wahhabite de l'Islam. Si la théorie de Noam Chomsky était valide, elle s'appliquerait tout autant aux wahhabites qui ont besoin d'un ennemi puissant pour pouvoir survivre.

La coexistence pacifique et harmonieuse des musulmans fervents avec les minorités religieuses vivant parmi eux, leur relation également harmonieuse avec les fruits de la civilisation occidentale prouve par conclusion que les adhérents au « vrai » Islam ne sont pas des fanatiques violents, et que le courant principal de l'Islam n'a rien à voir avec le modèle wahhabite militant de l'Islam, dont le succès à gagner des convertis est dû aux conditions déclinantes et déprimantes de plusieurs sociétés islamiques. Ainsi, ce n'est pas le système de croyance islamique qui mène inévitablement à la violence et à la confrontation avec autrui. La violence et le fanatisme sont des caractéristiques d'une seule secte marginale, qui était pratiquement inconnue en dehors des déserts de Nadjd jusqu'à aussi récemment qu'il y a un siècle. Le courant principal de l'Islam non-wahhabite régnait dans les sociétés islamiques jusqu'à ce que deux développements cataclysmiques l'obligent à se retirer : le premier fut l'éruption du modèle violent de l'Islam de derrière les dunes de sable ; le second, le déclin des niveaux de vie de plusieurs sociétés islamiques, ce qui permit la propagation du wahhabisme.

 

Les Facteurs Externes

Bien que je croie que la mentalité de la violence soit principalement causée par des facteurs internes, je crois aussi qu'un facteur externe a contribué à sa propagation, à savoir les tentatives malavisées de certains de faire usage des forces produites par la mentalité de la violence pour des raisons politiques. Un exemple précis est le soutien offert par le bureau MI6 en Inde à un groupe qui tentait d'unifier la Péninsule Arabique sous un système politique tirant sa légitimité d'une interprétation wahhabite de l'Islam au début du vingtième siècle. Le mouvement nadjdi connu sous le nom « Ikhwan » ou confrérie est l'exemple primordial de ce courant au cours des années vingt du siècle dernier. Le roi Abdel Aziz ben Saoud, fondateur de la troisième dynastie de l'état saoudien, fut poussé à leur faire la guerre, car ils l'accusaient de dévier des principes de ce qu'ils interprétaient comme le « vrai » Islam en acceptant des abominations occidentales telles que la radio, les voitures, les téléphones, etc. Pendant ce temps, l'Egypte témoignait d'une alliance entre la Bretagne et la monarchie égyptienne, tous deux ayant intérêt à créer une nouvelle entité dérivant son attrait de la popularité de la religion en Egypte, pour contrebalancer l'influence du parti Wafd, fer de lance de la lutte pour obtenir une constitution, une vie parlementaire, et l'indépendance. Secrète en ce temps là, cette alliance est aujourd'hui connue de tout étudiant de l'histoire moderne de l'Egypte. Exemple du jeu dangereux que les politiciens jouent avec la mentalité de la violence en espérant pouvoir utiliser celle-ci pour accomplir leurs propres fins, ce jeu fut joué encore en Egypte dans les années 1970 et répété par les Etats-Unis en Afghanistan. Tous ces exemples montrent comment un facteur externe a aidé la mentalité de la violence à atteindre un tel niveau de croissance politique et militaire. Si ce n'était pas pour la guerre froide et la vision courte laissant croire que la religion pouvait être une carte gagnante dans la confrontation, la mentalité de la violence n'aurait jamais pu atteindre ses proportions alarmantes actuelles. Ainsi, bien qu'elle soit en grande partie le produit de facteurs internes, la mentalité de la violence a été largement renforcée par la richesse illimitée du pétrodollar – sans compter l'erreur américaine énorme (des Etats-Unis) qu'on peut appeler la plus grande erreur de calcul de l'ère de la guerre froide, c'est-à-dire l'usage de l'Islam politique pour contrebalancer le communisme. Ainsi, le monde s'étant débarrassé du fascisme, du nazisme et ensuite du communisme, se trouve aujourd'hui dans un autre affrontement, cette fois-ci face à un genre d'Islam politique militant résultant du déplacement du centre de gravité du monde musulman, c'est-à-dire sa migration de l'Egypte à l'Arabie nomade.

L'assassinat du président Anouar Sadate par un groupe extrémiste fut un appel à l'éveil, alertant le monde à la croissance et à la propagation du modèle wahhabite de l'Islam ayant un adossement saoudien, et au recul du modèle turc-égyptien. Une série d'évènements similaires atteste de la prolifération dangereuse de ce modèle dans la plupart des sociétés ayant une majorité musulmane, comme au Nigéria, en Algérie, en Egypte, dans la Péninsule Arabique, au Pakistan, en Afghanistan et en Indonésie. Le matin du 11 Septembre 2001, un groupe de fanatiques appartenant à l'Islam wahhabite lancèrent des attaques sur New York et Washington, exprimant comment les membres de ce courant perçoivent l'« autre » en général, et la civilisation occidentale en particulier.

 

 

Obstruction du Progrès et de la Modernité

Pendant les cinq premiers siècles de l'hégire, les musulmans témoignèrent d'énormes percées intellectuelles dans une grande sphère de sujets concernant la pensée islamique. Ces sujets inclurent des thèmes tels que les principes de la jurisprudence, la linguistique, l'interprétation et l'historiographie. Ces avances intellectuelles résultèrent en une révolution d'opinions et d'interprétations qui varièrent de la droite conservatrice extrême, comme l'école hanbalite (en référence à Ahmed ibn Hanbal), au plus haut niveau de l'interprétation basée sur la raison proposée par le grand penseur Ibn Rouchd (Averroès). Entre ces deux extrêmes, il y eut une multitude d'autres écoles de pensée. Cependant, une combinaison de régimes autocrates renfermés, de systèmes d'éducation démodés, de médias contrôlés par les états, et une compréhension rigide, souvent extrémiste, de la religion, rendit beaucoup de musulmans et d'arabes circonspects sur les notions comme « le progrès » et « la modernité ». Les facteurs internes mentionnés dans un article précédent, accouplés d'un nombre de facteurs externes comme la culture infantile de certaines nations très développées, ont mené l'esprit musulman arabe à penser que l'appel au progrès et à la modernité est un appel à dépendre de l'occident, donc à perdre sa spécificité culturelle. Le fait que beaucoup d'arabes et de musulmans sentent que les valeurs de l'occident sont uniquement pour les occidentaux et non pas pour tout le monde exacerbe la situation. J'ai déployé beaucoup d'efforts pour clarifier à mes lecteurs en Egypte et au Moyen-Orient que la modernisation est d'abord et surtout un phénomène humain. La prescription pour le progrès n'a ni nationalité ni religion, étant le produit de différentes cultures de sociétés avancées telles que les Etats-Unis, le Japon, la Malaisie, Taiwan, et la Corée du Sud. J'ai consacré l'un de mes livres, « Les valeurs du progrès », à démontrer aux jeunes de ma société le sophisme de l'argument qui assure que le progrès et la modernisation mèneraient à la perte de l'identité et de la spécificité culturelle de la société. Ayant appliqué les techniques du management moderne à grande échelle, je sais qu'il y a un management réussi, et un management infructueux ; mais je n'ai jamais connu de management arabe, chinois, africain ou français. Le Japon s'est développé à grands pas au long des dernières cinquante années, mais la société japonaise, surtout en dehors de la capitale, est restée japonaise dans son essence. Quiconque nie que le progrès est un phénomène purement humain et que le processus y menant est aussi humain n'a vraisemblablement jamais vu directement le mécanisme du progrès – ce qui expliquerait pourquoi les académiciens se désintéressent de la question.

 

Les régimes oppressifs ressemblent au citoyen qui n'a aucun lien avec le monde extérieur et qui s'imagine que la modernité est le revers de la médaille de la dépendance. Il ne croirait jamais que la démocratie est le produit de l'humanité et qu'elle est un droit humain non seulement une commodité occidentale pour les occidentaux, et il ne réaliserait jamais que la maxime disant qu'il y a un genre de démocratie pour chaque société est trompeuse ; car bien que la démocratie ait différentes formes, celles-ci ont toutes un mécanisme de responsabilité rendant les dirigeants serviteurs de la société plutôt que ses seigneurs.

Je répète que les musulmans commirent une erreur grave envers eux-mêmes et envers leur religion lorsqu'ils décidèrent de renoncer à l'« ijtihad » (interprétation à travers la raison) et qu'ils cessèrent de chercher de nouveaux concepts et de nouvelles solutions. Ils se satisfirent d'émuler et de réitérer ce que leurs ancêtres avaient produit, sans tenir compte que ces concepts et solutions venaient d'une époque ancienne et résultaient de circonstances d'un temps dépassé. C'est pour cela que les musulmans vivent dans un environnement en statut quo, ruminant les pensées d'autres hommes qui avaient déployé des efforts pour établir des concepts qui convenaient à leur époque, il y a huit siècles. Comparés aux anciens religieux musulmans tels qu'Averroès qui est aussi important intellectuellement qu'Aristote, les théologiens religieux contemporains ne lisent que l'arabe, ne sont pas au courant des sciences modernes, et se trouvent cloitrés dans des environnements sociaux qui les empêchent d'être intellectuellement ouverts aux innovations de l'humanité dans les domaines divers des sciences sociales et humaines.

 

Les Théologiens

Nous avons aujourd'hui fort besoin d'une nouvelle génération de théologiens qui assimileraient les sciences, la culture et les connaissances de l'époque contemporaine, et qui comprendraient aussi le legs des premiers musulmans. Il y a soixante dix ans, le grand « imam » de l'Azhar, Docteur Moustafa Abdel Razek, était un ancien professeur de philosophie à l'université. A quelle université, demanderez-vous ? Pas à l'université de Riyad, ni à celle de Sanaa, mais à la Sorbonne !

J'ai eu plusieurs rencontres avec des doctes du Vatican. Je suis peiné et me demande toujours pourquoi il y a au Vatican des hommes de religion avec de splendides connaissances éducationnelles, intellectuelles et encyclopédiques dans leurs domaines différents, alors que les théologiens musulmans ne savent quasiment rien des fruits grandioses de la créativité humaine dans les différentes branches des sciences sociales et humaines.

Lors d'une conférence à Doha en 2006, j'ai vu un théologien réputé pour être l'un des plus grands juristes et prêcheurs de notre temps. C'était un égyptien de nationalité Qatarienne qui avait fui l'Egypte durant les conflits entre les Frères musulmans et Gamal Abdel Nasser en 1954. Pendant la conférence, il eut recours à plus d'un interprète, et il ne participa à aucune des discussions concernant les pensées modernes. Cependant, les théologiens du Vatican discutaient de divers sujets de connaissances en quatre ou cinq langues. Je ne nierai pas ma honte ce jour là, des idées et des approches primitives de ce théologien musulman proéminent. Il paraissait comme un être primitif venant de la jungle.

Il nous faut une génération de théologiens religieux musulmans qui ont étudié d'autres religions, l'histoire humaine, la littérature mondiale, la philosophie, la sociologie et la psychologie, et qui parlent plusieurs langues, les langues de la civilisation. Jusqu'à ce que cela arrive, les hommes de religion musulmans resteront primitifs et au même niveau de naïveté, de superficiel et d'isolation du chemin de la civilisation et de l'humanité.

Avant que j'aie 20 ans, deux moines du monastère dominicain d'Abassiya au Caire m'avaient enseigné le théâtre grec et la philosophie grecque ancienne. Un autre moine m'apprit des choses simples qui firent que beaucoup aujourd'hui me prennent pour un expert en Judaïsme. Cependant, je n'ai jamais rencontré un homme musulman de religion possédant des connaissances encyclopédiques dans divers sujets. Pour conclure, tout comme nous sommes sous-développés dans tous les domaines de la science, nous sommes aussi sous-développés dans les sciences de notre propre religion islamique. Notre retard en Islam est le même que celui en médecine, ingénierie, technologie informatique et recherche spatiale. Nous ne sommes que des « parasites » de l'humanité. Même les armes utilisées par les milices des groupes qui se nomment « jihadis » (en connexion avec le « jihad » islamique) sont faites par d'autres qui travaillent dur pendant que nous restons insipides.

Il y a un besoin de voir émerger une génération de ce genre d'hommes de religion que je viens de décrire ; ceux qui conjuguent l'apogée des sciences islamiques avec celle des sciences modernes, car sans cela le décalage entre les musulmans et le progrès de l'humanité ne cessera de grandir. Des campagnes de critiques s'élèveront contre eux, et ils seront peut-être écartés en grands nombres des communautés européennes et de l'Amérique du Nord. De plus, les conflits entre l'Islam et l'Occident, comme la guerre des Talibans en Afghanistan, pourraient re-survenir. Les musulmans, ou pour être plus précis de larges secteurs de la population musulmane) deviendront les ennemis principaux de la civilisation occidentale et pourraient même devenir le premier ennemi de toute l'humanité.

 

B. Les Institutions

Malgré le grand besoin, ce développement si recherché des institutions religieuses musulmanes n'est pas près d'avoir lieu. Les plus grandes institutions islamiques dans le monde moderne répudient quiconque parle de la moindre réforme ou du moindre changement. S'il en est ainsi, à quoi peut-on s'attendre lorsqu'on réclame un changement complet ?

Une université islamique réputée a licencié le Docteur Ahmed Sobhi Mansour car il a refusé de reconnaître les « hadiths » prophétique comme source des principes jurisprudentiels. L'université aurait dû discuter des différences de points de vue en ayant recours à des méthodes scientifiques dans le cadre d'un dialogue, et organiser des débats qui auraient permis aux théologiens d'échanger leurs opinions. Etrangement, Abou Hanifah el-Nu'man, l'un des quatre grands juristes musulmans, se trouva dans la même situation que le Docteur Ahmed Sobhi Mansour lorsqu'il décida de ne reconnaître que quelques « hadiths » prophétiques alors que d'autres les adoptaient tous. Pour être plus précis, si Abou Hanifah avait vu un livre comme le « Sahih el Boukhari » (l'authentique de Boukhari), il aurait rejeté plus de 90% de son contenu. Dans cette situation, certaines universités islamiques modernes auraient accusé Abou Hanifah d'être « kafir » (non croyant), bien qu'il ait été le premier des quatre grands juristes islamiques et qu'il ait reçu le titre de « Grand Imam ».

En effet, les conditions des institutions islamiques de nos jours ne permettent pas à ces institutions de produire des hommes comme Abou Hanifah ou Averroès. Elles sont de plus en plus isolées et préoccupées par des références religieuses jaunies et fanées par le temps. Pendant des siècles, leur rôle dans l'interprétation de l'Islam s'est restreint aux textes des livres et non à leurs contextes. Il est devenu rare de trouver dans ces institutions un docte qui ait lu rien qu'un livre dans une autre langue que l'arabe.

Le changement recherché pendant longtemps dans les établissements islamiques est à présent lié à un leadership politique voulant se pencher vers une interprétation logique de l'histoire, et une vision vers l'avenir. Malheureusement, ces qualificatifs ne sont pas facilement trouvés dans les communautés islamiques. Il faut néanmoins réclamer un leadership politique qui agirait pour accomplir un changement radical de la structure de la communauté théologienne islamique, et qui voudrait harmoniser cette communauté avec l'époque de la science et le progrès de l'humanité. Sans cette force motrice, les musulmans se trouveront en confrontation avec l'humanité, ce qui sera aussi désastreux qu'une collision entre deux corps célestes.