Réflexions sur la Question Copte (*)
Par Tarek Heggy


L'intérêt particulier que je porte à la question Copte, comme beaucoup le savent, m'a poussé à faire une étude approfondie de l'histoire du Christianisme en Egypte, afin de tenter de connaître la source de la culture Copte dans toutes ses dimensions et tous ses détails. Ceci me mena à établir des relations personnelles avec des centaines, pour ne pas dire des milliers de Coptes, parmi lesquels des personnalités proéminentes de l'Eglise Egyptienne. Un certain nombre d'amis Coptes m'ont demandé d'écrire mes idées sur ce qu'on appelle « la question Copte » qui selon ce que certains pensent a atteint un point critique, tandis que d'autres en nient l'existence même, disant que ce n'est qu'un problème imaginaire, fondé sur l'irréel.

 

Avant d'entamer le sujet, je tiens à signifier que cet article part d'abord du principe que les Coptes sont (ou devraient être) les citoyens authentiques de l'Egypte, donc des citoyens de premier degré. L'Egypte est leur pays ; ils ne vivent donc pas ici par la gracieuseté des autres, et devraient pleinement et à juste titre bénéficier du statut et des droits de citoyenneté, en tant que partenaires et non pas comme des cas de charité.

Si ce point de départ est contesté, il ne peut y avoir point de dialogue. Cet article ne s'adresse pas à ceux qui considèrent nos compatriotes Coptes comme des citoyens de deuxième classe vivant parmi nous grâce à notre tolérance et à notre magnanimité, ni, a fortiori , à ceux qui réclament l'imposition de la gezya (taxe requise des non-Musulmans) aux membres Coptes de la communauté. Entreprendre une discussion avec quiconque refuse le principe de base de cet article est un exercice vain ; ce dialogue de sourds n'aboutirait nulle part. Cependant, si le lecteur accepte le point de départ principal de cet article comme étant une vérité incontroversable, alors il y aura lieu de tenir un dialogue, à condition que personne ne prétende parler au nom des Coptes, ni exprimer leurs griefs ou nier l'existence de ceux-ci.

 

En réalité, aucun individuel en Egypte aujourd'hui, officiel ou non officiel, ne peut prétendre que les Coptes n'ont pas de problèmes ou de plaintes. En écrivant ces lignes, je ne prétends pas parler pour les Coptes, mais je transmets simplement au lecteur ce que j'ai entendu à plusieurs reprises de la part de citoyens Coptes Egyptiens ordinaires, qui ne peuvent possiblement être classifiés comme rebelles ou extrémistes ; je suis au courant des arguments des extrémistes que je n'aborderai pas ici. Je n'écrirai donc que ce que j'ai entendu au cours des années - et que je crois être vrai –, de Coptes qu'on ne peut décrire autrement qu'étant modérés.

 

L'un des principaux griefs sur lequel on est complètement unanime dans la communauté Copte, est que le droit de construire de nouvelles églises ou d'en restaurer d'anciennes a été, jusqu'à récemment, sensiblement restreint à cause de contraintes législatives et bureaucratiques. Bien que ces contraintes aient été quelque peu relâchées, la majorité des Coptes trouvent la situation encore loin d'être satisfaisante.

Je pense que la seule solution à cette situation intenable est d'unifier les lois gouvernant la construction et la restauration de tous les lieux de prière, qu'ils soient appelés mosquées ou églises. Ces lois devraient établir un règlement rationnel, applicable à tous les Egyptiens quelle que soit leur foi. Car il est totalement illogique qu'un segment de la société soit sujet à des contraintes arbitraires, tandis qu'un autre soit en train de jouir de libertés débridées là où il s'agit de construire des lieux de prière, ou de se rassembler pour prier quand et où ses membres choisissent de le faire. En effet, même quand il en résulte le chaos et des violations claires de la loi, et ceci est souvent le cas, les gens sont trop intimidés et laissent les coupables narguer la loi impunément.

 

Mais bien qu'un grief important, celui-ci est loin d'être la seule cause ou même la cause principale du sentiment que les Chrétiens ont de vivre un moment de tension, voire une crise. Certes, ce cas reflète une discrimination institutionnalisée et totalement injustifiée. Après tout, quelle possible menace la construction d'une nouvelle église pourrait-elle représenter ? Les églises sont utilisées soit pour prier, soit pour les mariages et les funérailles ; bannir ou contraindre leur construction est une violation d ‘un droit humain de base. Cependant, la communauté Copte a d'autres plaintes plus sérieuses qui pourraient être résumées comme suit :

 

- Il existe un climat général qui permet à un esprit d'intolérance religieuse de surgir à certaines périodes dans certains endroits du pays. Les Coptes sont très sensibilisés à ce phénomène ; parfois rien que de mentionner leur nom suscite une réaction hostile.

 

- Il y a parmi les Coptes un sentiment généralisé que leur participation à la vie publique a basculé au courant des cinquante dernières années ; sentiment soutenu par le fait que pas un seul Copte ne fut élu au parlement aux élections de 1995.

 

- Il y a aussi le spectre de la violence communautaire qui peut s'enflammer n'importe quand comme auparavant, notamment et entre autres, lors des incidents de Kushh.

 

Quelques remarques analysant le sentiment de malaise que les points précédents engendrent chez les Coptes peuvent être utiles.

 

- Concernant le climat général qui crée un esprit de fanatisme détestable ; ceci ne résulte pas d'un décret gouvernemental ou d'une décision politique, mais de la défaite d'un projet de renaissance Egyptienne, spécialement après la débâcle de Juin 1967. Le vide fut vite comblé par une culture et une idéologie fondamentalistes qui prirent les devants comme un mouvement alternatif à un nouvel éveil Egyptien. Avec la propagation des valeurs culturelles de cette tendance (dont les membres ont commis plusieurs crimes, principalement le meurtre d'Anouar El-Sadate), le climat général succomba aux forces conservatrices et régressives, engendrant inévitablement une atmosphère d'hostilité envers les Coptes. Comme le dit une fois un célèbre intellectuel Egyptien, à chaque faillite du projet de renaissance en Egypte, deux groupes sont touchés par les répercussions négatives : les Coptes et les femmes. L'inverse est aussi vrai ; dans un climat culturel vivace et dynamique, l'approche envers ces deux groupes est illuminée et en ligne avec les valeurs de la civilisation et du progrès. Il serait peut-être injuste d'accuser le régime actuel de créer un environnement qui donne lieu au fanatisme et qui permet le surgissement de l'intolérance religieuse, accompagnée d'un risque de violence communautaire. Cependant, le gouvernement aurait pu, et peut toujours, mettre des limites à cette polarisation dangereuse qui est devenue une caractéristique du climat culturel de l'Egypte aujourd'hui. Pour ce faire, le gouvernement doit adopter une politique visant à renforcer une culture de tolérance religieuse pour remplacer la culture de fanatisme qui nous menace tous de nos jours. Alors que les programmes scolaires et les médias sont un bon début, il ne faut pas omettre l'importance que les chaires religieuses ont à former les perceptions publiques. Car on ne peut nullement espérer au progrès si les institutions religieuses Islamiques s'opposent à un projet culturel visant à exterminer l'esprit d'intolérance religieuse qui envahit notre société. C'est pour cela que l'Azhar doit suivre la vision du régime et non pas l'inverse. Laisser la charge aux hommes de religion signifie accepter la propagation d'une culture théocratique, qui, suivant la logique et les antécédents, est incapable de soutenir une culture de tolérance, de l'acceptation du droit d'autrui à être différent, ni de l'acceptation de l'idée de « l'unité par la diversité ».

 

Je réalise parfaitement qu'il est plus facile de dire que de faire ce que je propose, et que le gouvernement fait face à un défi décourageant. Mais je sais aussi que le rôle de toute direction (au sens vaste du mot, c'est à dire la direction exécutive), est de formuler une vision, et d'agir pour la mettre à exécution. Pour réussir, la direction doit mener et non pas se laisser mener. Il est faux de prétendre que le régime de par sa nature détourne le défi, ou qu'il est responsable d'avoir créé l'affreux esprit de fanatisme qui règne dans notre société. Cependant, il a longtemps fermé les yeux sur cette aberration, ne venant à réaliser que lentement, que l'idéologie derrière cette culture de fanatisme est le plus grand ennemi de ce même régime. C'est cette idéologie qui a produit les assassins de Anouar El-Sadate, les instigateurs de l'incident d'Addis Abeba, et les auteurs de plusieurs autres crimes.

 

- En ce qui concerne le sentiment généralisé des Coptes que leur participation à la vie publique a considérablement baissé au courant des quelques dernières décennies, ce fait est soutenu par des statistiques. Cependant, cela ne devrait pas être perçu comme une tentative délibérée de la part du gouvernement de garder les Coptes hors des postes publics, mais plutôt comme un phénomène qui a pris une ampleur insidieuse au fil des années, sans être remarqué par les gouvernements successifs, puisant son volume dans son propre dynamisme, jusqu'à avoir atteint ses proportions actuelles inadmissibles. Mais quoique soient les raisons, le fait est que les Coptes sont marginalisés de la vie publique Egyptienne ; cette situation mérite une sérieuse étude. Personnellement, je crois que l'origine de ce phénomène se trouve dans la mentalité que nos fonctionnaires ont développé récemment et qui est caractérisée par le refus d'admettre l'existence des problèmes, et par la persistance à affirmer que tout va très bien dans le meilleur des mondes. Cette mentalité tient des racines d'une autre spécificité culturelle, celle du refus de toute critique, et de l'incapacité de s'autocritiquer. Prétendre, comme certains le font, que cette situation est l'oeuvre des Coptes, qu'ils sont devenus marginalisés parce que trop passifs et trop pris par leurs activités financières, serait mettre le char devant les boeufs. Il est vrai que les Coptes sont passifs, et qu'ils ont des activités financières et économiques, mais ceci est un résultat, et non pas une cause, d'avoir eu trop de portes fermées malgré leurs capacités indéniables.

 

Bien que je sois convaincu de la vérité de l'analyse ci-dessus, je suis aussi conscient qu'elle est incomplète. Les mêmes portes claquées au nez de membres de haute qualité de la communauté Copte, restent fermées à beaucoup de membres de haute qualité de la société Egyptienne en général. Le jeu politique en Egypte aujourd'hui n'est ouvert qu'à ceux qui veulent le jouer par certaines règles établies ces quelques dernières décennies, règles qui par leur nature sont répugnantes aux professionnels qualifiés dotés d'un minimum de fierté, puisqu'elles sont basées sur la loyauté personnelle, le népotisme, et d ‘autres mécanismes qui n'ont rien à voir avec les capacités professionnelles.

 

- Quant aux violences communautaires qui s'enflamment de temps à autres, les plus récentes étant à Kushh, et auparavant à Khanka, juste pour mentionner deux de plusieurs confrontations violentes dont notre histoire récente témoigne, elles sont dues à un nombre de facteurs, dont les plus importants sont :

 

- Une ligne officielle déterminée à déprécier la gravité de la situation, pensant à tort qu'admettre l'existence d'un problème est néfaste à la réputation de l'Egypte. En réalité, la réputation de l'Egypte serait mieux servie en faisant face au problème qu'en niant son existence.

 

- L'envergure d'une culture qui ignore les problèmes, qui exalte ses bienfaits et qui chante ses propres louanges.

 

- L'échec à faire usage des nombreux efforts valables déployés pour étudier et analyser les racines et les causes de tels incidents, comme le rapport notoire émis par le Dr Gamal Oteify sur la crue des conflits communautaires qui ont eu lieu dans les années soixante-dix du siècle dernier. Ses trouvailles et ses recommandations auraient pu être bien investies, si ce n'était pour ce penchant culturel de répudier les conflits comme étant un problème moindre, instigué par les forces extérieures, ayant pour but de déstabiliser l'Egypte.

 

Le but de cet article n'est pas de blâmer ou d'accuser qui que ce soit, mais d'offrir une étude objective et neutre dans le but, comme était le cas du rapport de feu Dr Oteify, de jeter la lumière sur quelques éléments du problème. Accuser le gouvernement de persécuter les Coptes manquerait de logique et de sagesse. Mais il manquerait également de logique et de sagesse de prétendre que leurs griefs ne sont pas légitimes, et que leur situation est idéale.

 

Je ne peux trouver de meilleure manière de conclure cet article que par cette petite histoire : Au cours d'une discussion concernant la question Copte, quelqu'un me questionna à propos des demandes des Coptes. Je commençai par leur seconde demande, ensuite la troisième, puis la quatrième et la cinquième. « Mais », me demanda-t-on, « quelle est leur première demande ? » Je répondis que ce dont les Coptes ont besoin plus que tout est « l'adoption sociale », ce qui signifie sentir qu'on veut vraiment les écouter, et entendre leurs plaintes et leurs problèmes, dans un esprit d'amour et de sympathie fraternels, basé sur la croyance qu'ils sont partenaires à part égale dans cette terre, et pas des citoyens de deuxième classe appartenant à une minorité qui doit accepter et se plier à la volonté de la majorité.

 

Afin de trouver une vraie solution globale à la question Copte, nous avons besoin de regarder seulement un peu en arrière à l'époque où Saad Zaghloul établit un modèle exemplaire de relations communautaires qui pourrait servir comme un glorieux point de départ d'un projet contemporain pour mettre ce problème hargneux au repos, une fois pour toutes.

Il y a de bonnes raisons pour que Saad Zaghloul soit aimé par les Coptes, et nous aurions intérêt à surpasser l'exemple qu'il a posé il y a tant d'années. Ces raisons sont minutieusement adressées dans un de mes anciens articles publié dans Al-Akhbar le 19 Février 1987 intitulé « Saad Zaghloul et l'Unité des Deux Eléments de la Nation Egyptienne », et republié ultérieurement comme un chapitre de mon livre « Les Quatre Idoles ».

 

 

(*) Cet article a été publié dans le journal Al-Wafd le 6 Octobre 2000.